Après une journée d’exigeant labeur,
Je saute dans le train – à peu près dix-neuf heures-
Et j’assied quelque part, sur un siège au hasard,
Mes regards de brouillard, mes pensers qui s’égarent.
De ma sacoche lourde de littérateurs,
J’ouvre la gueule avec incroyable lenteur
Et j’en sors un livre de piteuse maigreur
Par apport aux pavés qui m’esclaffent le cœur.
Certes, ce n’est pas ouvrage de grand auteur,
La plume n’échauffe pas autant de faveurs
Que la plantureuse chair du Decameron
Ou que la corpulence d’un vers de Byron,
Mais elle m’assure un « il était une fois »
Tant acide, petit fruit échappé des bois,
Que je m’excuse, poètes des grands esprits,
Mais vos rimes n’aiguisent plus mes appétits.
Le convoi s’ébranle et j’entrouvre le désir
Du livre tout naïf qui me fait des sourires ;
Je laisse ma réalité entrebaillée
À la vieille poussière des fables négligées.
C’est alors que jaillit des pages parfumées
Une vénérable et ronflante cheminée
Qui installe ses braises, ses flammes de foi
Dans la vitre du train, juste à côté de moi.
Le feu est promptement suivi d’une grand-mère,
Chevelure ridée et regards en hiver,
Dont j’ouïs la voix me narrer avec bonheur
Les histoires dans les grésillants hauts-parleurs.
Une banquette à bascule sussure et grince,
Soudainement, dans l’omnibus, s’élance un prince.
« Les tickets s’il vous plaît. Prochain arrêt Renens. »
Et le pauvre n’a pas vu l’ogre aux longues dents
Qui déraille le mouvement de sa massue
À chaque gare qui lui bondit dans la vue.
Et c’est un lapin qui monte dans le convoi
Se déchaînant sur sa montre plus d’une fois.
L’animal est suivi de près par Cendrillon,
Puis par Merlin, puis par le petit Chaperon.
C’est la fête ! Tous les personnages défilent
Un par un, de gare en gare et de ville en ville.
Les sorcières reviennent pour fêter l’Avent
Sur les voies gorgées de soleil couchant
Et moi, je revois avec émerveillement
Les rêves d'enfant qui me côtoient allègrement.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire